Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Marche à l'Ambre !

Pastiche du Diable boiteux par Lesage

Ce court récit est inspiré du Diable boiteux, écrit par Lesage au XVIIè siècle. Asmodée est un diable qui va instruire l'écolier Léandro des vices des hommes pendant une nuit et au-dessus des toits. Ici je propose un épisode de ce qu'aurait pu raconter Asmodée pour plaire et instruire le jeune homme.

( Je vous laisse deviner à quel tableau je me suis référée pour faire le portrait de Dona Magdalena ...) 

 

 

Aussitôt qu’il fut délivré, le démon, à l’aide de ses plus intenses élans maléfiques, prit l’air à plein poumon, l’air qu’il lui était enfin permis d’humer, celui de la liberté, après des années obscures, meurtri au fin fond d’une fiole étroite - inconvenante pour l’étendue d’un être puissant et humiliant en ce qu’il amoindrissait sa majesté démoniaque – sans apercevoir la silhouette d’un sauveur.

« Désormais, commença le Diable, je dois honorer mes promesses dont celle de vous instruire des mœurs de ce monde. Mon avantage ne sera point de vous ennuyer par une succession de bienséances, mais plutôt de vous divertir par cette comédie du monde, composée d’actes innombrables, et qui tirera son rideau quand Thanatos emportera acteurs et spectateurs de la plus grande scène de toutes.

- Il fait noir, répliqua Léandro, seules les étoiles stimulent notre vue, mais cela reste insuffisant pour se vouer à l’observation.           

- Je vous en conjure, interrompit Asmodée, croyez – moi, aucun obstacle ne rivalisera avec vos ambitions. »

Brusquement, soufflant avec une verve équivalente à sa condition supérieure, il expulsa ce surplus d’air et en quelques secondes, trois mille toits madrilènes se mirent à frémir à la manière d’un opercule de théière anglaise stimulée par un trop plein d’eau bouillante, puis se soulevèrent simultanément dans une danse fascinante et lascive.

« Après vous, glisssa le Diable en présentant un pan de sa cape à Léandro. »

S’agrippant au bout de tissu, il survola le ciel comme jamais il n’eut l’opportunité de le faire sans cet être maléfique. Cette courte escapade l’émerveilla, il se sentit même privilégié.

« Oh ! Qu’est-ce que cette flamme toute frétillante ? interrompit Léandro, et cette femme que l’on aperçoit seulement de dos, que faut-il en penser ?

- Ah ! Pauvre femme, reprit Asmodée, et naïve de surcroît en ce qu’elle pense trouver sa seconde demeure au Ciel auprès des chérubins. Quelle sotte croyance ! Laissez-moi vous conter son histoire. Dona Magdalena fut atteinte d’un grand mal, un de ceux qui corrompit toutes les femmes de son époque. Sans exception, elle fut surprise par son mari en pleine récitation. Ainsi, elle lui avoue son péché auquel elle prit goût depuis quelques mois. Peu de jours s’écoulèrent avant que son mari eût l’idée de la cloîtrer dans sa chambre, espérant d’elle une rédemption sincère, supposant que l’isolement serait propice à l’expiation de ses péchés.

 

- Mais, prit furtivement la parole Léandro Pérez, qu’a-t-elle fait de si cruel, de si incommodant à son mari pour mériter ce sort ? Une beauté telle que la sienne devrait pourtant ravir au plus haut point son mari.

 

- Je vous l’accorde, sa beauté semble dénuée de toute inclusion. Par ailleurs, vous remarquerez sa toilette assez sobre, mais ne lui retirant pourtant autant charme : une chemise blanche plissée, légèrement entrouverte, juste assez pour ne pas attirer les regards vicieux, ainsi qu’une longue jupe rouge rappelant des passions anciennes qu’elle voulait purger par son sincère recueillement. Il est vrai qu’elle a connu de violentes passions, chaque soir au coin du feu pour en savourer les délices interdits. La journée, elle se récitait des vers licencieux, de ceux dont les femmes aimaient se délecter à l’abri des regards masculins. Un jour, alors qu’elle ne se doutait point de la présence de son mari, quelques vers de Théophile de Viau enchantèrent sa voix et rendirent ses lèvres maudites.  En effet, Dona Magdalena connaissait sans faille « Chère Isis, tes beautés ont troublé la nature… », et cela lui donnait matière à rêverie. Elle ne songeait qu’à l’aventure, la séduction et plaisirs  dont elle se trouvait privée en tant que femme mariée. Mais, cette douceur dans le langage et son ambiguïté la ravissait, la prédisposant à des élans euphoriques qu’elle ne contrôlait plus.  C’est pourquoi son mari fut pris par des transes colériques inimaginables bien qu’il ait déjà été curieux des œuvres libertines.

 

- Une telle réaction n’est-elle pas le fruit d’une angoisse d’ordre moral ? répliqua l’écolier. »

Le boiteux approuva légèrement le propos, mais ajouta que ce n’était pas là le plus inquiétant pour ce noble, mais plutôt les cris de sa jalousie qui résonnaient dans sa tête. Depuis cet instant, elle se dépouilla de tout apparat, ne prit plus de temps pour s’admirer. Seul le reflet de la bougie qu’elle avait pris le soin de placer devant sa glace, lui paraissait le seul objet noble de contemplation. Nuit et jour, son mari la trouvait assise, les mains jointes, le regard fixant cette flamme et non les ombres qui jadis l’enveloppaient tout entière.                   Don Juan en fut interdit, un instant il la prit pour folle, mais elle lui répondit simplement qu’elle voulait une place auprès des carmélites de l’Encarnacion.

 

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article