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Marche à l'Ambre !

Jamais le noir et le blanc n'a donné de l'or... 2/2

La Vraie Création, tableau largement inspiré de La Création d’Adam de Michel Ange, réalisé par un peintre qui ne voulut pas dévoiler son nom, de la fin du XXè siècle. Cette œuvre fut l’obsession de ses vieux jours, prônant l’alchimie du blanc et du noir…

La Vraie Création, tableau largement inspiré de La Création d’Adam de Michel Ange, réalisé par un peintre qui ne voulut pas dévoiler son nom, de la fin du XXè siècle. Cette œuvre fut l’obsession de ses vieux jours, prônant l’alchimie du blanc et du noir…

LA SUITE ! 

 

 

Je rentrai sur ma terre de Provence le soir-même après des révélations clairsemées tantôt de noir, tantôt de blanc. Dorénavant, il me fallait découvrir comment utiliser ces deux couleurs. Je regagnai une nouvelle fois mon fauteuil cramoisi, non atteint de langueur comme la fois précédente. Une énigme restait, pourquoi je voyais tout en noir et blanc ? Cette question occupa mon esprit jusqu’à ce que le sommeil m’emporta pour une nuit bien méritée.  Un rayon de lumière traversa l’embrasure et me poussa à ouvrir les paupières. A mes pieds, des pinceaux encore imprégnés de peinture séchée traînaient et le sol était devenu ma seconde palette. Ces observations me firent redécouvrir mon atelier. Néanmoins je n’oubliais pas mon habitude de consulter mon magazine « Connaissances des arts » dans l’espérance d’y puiser quelques idées. Au fil des pages que je feuilletais, mes yeux semblaient perdus dans les couleurs. Vert, rouge, violet, quelques touches de noirs, des bourgeois blancs, des esclaves noirs, c’était tout. Il y avait des codes couleurs pour chaque objet et chaque peau, dont il était difficile de se détacher au risque d’être pris pour illuminé. Je voulais me détourner de la réalité avec le noir et blanc. Je mis le magazine de côté. Soudain, je me sentis vide et lourd. Depuis mon excursion parisienne, je m’asseyais sur un tabouret, voûté par le poids de mon existence. Désormais, je ne pouvais plus exiger de mon dos, toute la droiture dont il était capable auparavant. Devant moi, un rectangle blanc, autour de moi des rectangles colorés de toute taille, et à côté de moi, mille outils pour me faciliter la tâche artistique. Je ne pensais pas exagérer, j’avais tant de pinceaux, de couteaux à peindre, de l’enduit, des pastels, des fusains, de la gouache… J’avais tant de matériels pour transformer le laid, beau ; l’indésirable, désirable. Cependant, sublimer ce qui existe, nous, les peintres, cela nous connaît. Comme d’un manteau dont on se vêtit contre le froid, on se munissait, avec un certain automatisme, de cette technique pour les approbations du grand public. Plaire ou déplaire ? Affronter ou se soumettre au goût de tous ? Beaucoup de questions survinrent. Mais je pensais ainsi : à chacun sa bataille, et je me devais de créer mon nouveau champ de bataille avec de nouvelles armes. Je pris donc ma palette usagée, où tous les mélanges de couleurs n’avaient plus de quoi ravir les yeux, prêt à révolutionner l’histoire de l’art. Encore fallait-il que l’idée lumineuse surgisse ! Une idée qui soulève le grand public d’étonnement, même de scandale, cela prouvera bien que l’artiste sait encore utiliser ses pinceaux comme arme, contre le commun. Mais quelle alchimie pousserait le monde à s’interroger sur une autre réalité possible ? Brusquement, je me rappelai d’un de mes rêves, un qui malgré une étoile filante traversant le ciel ou l’occasion du premier de l’an ne s’était jamais réalisé. Il fallait dire que ce songe, rimant plutôt avec mensonge que vérité relevait de l’utopie, et pas grand monde croyait aux utopies. Je pensais unir chaque personne, pauvre et riche, noire ou blanche, je voulais, qu’enfin le mot humanité prenne tout son sens, sans plus de différences artificielles. La peinture pouvait être au service de l’humanité comme antérieurement elle l’avait été pour le pouvoir. J’avais l’idée ! Je voulais créer une alchimie entre les personnes noires et les personnes blanches. Ainsi le noir et le blanc ne seront pas de simples couleurs mais une espérance d’obtenir de l’or, c’est-à-dire l’union des Hommes.

Les jours passaient, et les jours d’exposition approchaient. En effet je tentais une dernière fois d’exposer mes œuvres en galerie pour la commémoration de l’abolition de l’esclavage du 10 mai. Je ne voulais pas montrer l’horreur de la traite négrière, mais qu’année après année nous avions tiré des conclusions de cette fâcheuse partie de l’histoire. Il était évident qu’il viendrait l’union en conséquence de la violente séparation. C’est pourquoi, il me vint à l’idée de réunir le blanc et le noir au sein d’un même tableau. Ce ne serait pas n’importe lequel, La Création d’Adam de Michel Ange. Ce n’était pas non plus un hasard, je pensais que l’Origine n’était ni totalement blanche, ni totalement noire, mais qu’à deux il y eut le Commencement. Le Créateur non plus n’a pas pensé tout en blanc ou tout en noir. Ainsi, pour ne pas laisser seul Adam face devant Dieu, je peignais un autre homme musclé, bien proportionné et cette fois-ci, noir. L’étincelle divine serait enfin possible entre le blanc et le noir, entre Dieu et les Hommes. Je pensais que si Dieu était considéré comme le Créateur pour certain, alors cette toile devait rappeler que l’homme noir fut aussi créé. De plus, je pris le soin de n’émettre aucune distance entre ces deux hommes à l’image de Dieu. Comme une photo en noir et blanc, le noir côtoyait de près le blanc, jusqu’à percevoir des nuances de gris.

Le premier jour d’exposition était arrivé, et les portes allaient bientôt s’ouvrir au public. Avant de prendre place devant l’entrée, je jetai un dernier coup d’œil sur mon immense toile. En effet elle était accrochée au mur du fond, mais face à l’entrée. Derrière la porte des cris se faisaient entendre, certains cognaient aux carreaux, d’autres s’exclamèrent avec des « ah ! » de dégoût. Je compris que j’étais devenu différent des autres artistes. Ils restaient dans le passé, tandis que moi j’envisageais le présent, et plus précisément une nouvelle alchimie. Je ne comprenais pourtant pas pourquoi un grand nombre du public refusait de voir de l’or. En tant qu’artiste, je pensais que l’époque des Vénus et des nus mythologiques acceptables étaient bien achevés.

L’heure de l’ouverture approcha, il fallait ouvrir les portes de l’exposition. Beaucoup firent semblants d’ignorer ma toile, mais comment ne pas voir ce .. *.. , d’autres se ruèrent sur ma création La Vraie Création ou Le tombeau des Maîtres. En effet Sandro Boticelli, William Bouguereau, Alexandre Cabanel, l’heure de gloire a pour chacun sonné, mais celle de votre mort aussi. C’est pourquoi j’avais pris le soin de compléter succinctement la description de mon œuvre :

« Roi des canons parfaits, déposez tous vos armes

Le teint nacré n’est plus à la mode,

Les interminables chevelures non plus

Laissez-là vos pinceaux et palettes usagés

D’autres les assainiront, une nouvelle ère commence !

Retournez enfin dans votre dernière demeure

Soyez en paix !

Un Amour pour chacun, une pensée pour chacun. »

 

Je percevais que ces quelques vers ne laissèrent pas indifférents. Etonnamment, des individus prirent l’intitulé de l’œuvre au sens littéral, au point que certains semblaient s’y recueillir et se prosterner comme il en est l’usage devant une épitaphe. Ironiquement, et sans scrupules je comparais ces nostalgiques aux pleureurs utilisés pour orner les tombes funéraires.

- Eustache, la belle époque est finie, se lamenta une voix, je n’ai jamais autant pleuré devant une toile, même pour l’enterrement de mon tendre père, je n’ai pas versé autant de larmes.

 

- Je n’ai jamais eu autant de vertige en regardant … non vraiment, soupira Eustache, comment oser exposer … il y a tellement de noir et de blanc, me voilà assujetti à un violent tournis.

Bras dessus, bras dessous, ce couple fut le seul à venir vers moi pour éclairer leur dégoût. Sa femme effondrée dans ses bras, ce fut son mari qui prit la parole.

- Comment osez-vous, vous montrer comme artiste, si ce n’est que pour manier le noir et le blanc, Michel Ange, lui, utilisa diverses couleurs, et la Chapelle Sixtine n’en est que plus belle.

 

- Je ne suis pas l’artiste que vous attendiez, voilà tout ! Le noir et blanc participent à l’embellissement d’une lithographie, par exemple, fis-je remarquer sournoisement, et cela ne vous écœure pas ! Encore aujourd’hui, l’artiste Lucien Clergue fait vivre le noir et blanc à travers son art de la photographie, et cela ne vous gêne pas autant que de voir La Vraie Création.

 

- Mais pourquoi, me questionna-t-il avec mépris, tant d’acharnement inutile sur le noir et le blanc uniquement ? Pourquoi ajouter du noir où seul le blanc avait sa place ? Ce n’est plus la vraie création pour le coup.

 

- J’ai voulu créer une nouvelle alchimie tout simplement. Une alchimie, repris-je avec conviction, qui si vous êtes à même de la comprendre changerait l’existence de tous.

Le mari arrogant ne se permit plus un mot. Qu’aurait-il bien pu dire si ce n’est que la peinture devait être l’art de multiples couleurs et que les épisodes religieux devaient être figurés au verset près ? Je le voyais qui rougissait, peut-être était-ce la vérité qui le faisait ainsi rougir.                                          L’Humanité est blanche et noire, c’est ainsi ce qu’a voulu le Divin. A mon humble hauteur j’ai voulu être son porte-parole, et rassembler les hommes qui chaque jour s’entêtent à se séparer, alors qu’ils ne faisaient qu’un au Commencement.

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